L'incubateur des vieux loups de mer

Rendez-vous à “La base”, un local niché au cœur du chantier naval de Concarneau. Derrière cette grande porte de tôle se cache une véritable caverne d’Ali Baba pour explorateur. Pontons, Ateliers, bureaux et lieux de vie sont mis à disposition sur deux niveaux, un véritable cocon où tout est calculé pour que les projets les plus audacieux sortent de l’esprit de ces aventuriers, pour aller s’épanouir dans le grand bleu.

À l’origine de cette initiative, il y a la prise de conscience écologique d’un navigateur : Roland Jourdain. Dans les années 2000, celà fait de nombreuses années qu’il enchaîne les exploits sportifs en sillonnant les mers du globe. Mais au fil du temps, quelque chose commence à le contrarier : son terrain de jeu favori est victime de la pollution, le plastique envahit les mers, et le dérèglement climatique défigure même les régions les plus isolées. Face à ce constat, Roland Jourdain dit s’être questionné sur sa propre empreinte environnementale, et puis rapidement, il déclare avoir “cherché à aller au-delà, à trouver un moyen d'œuvrer pour la cause environnementale en utilisant ma propre expérience”. 

Cette fibre entrepreneuriale, il l’exploite déjà depuis 2007, lorsqu’il s’associe à Sophie Vercelletto, directrice générale du Vendée Globe de l’époque, pour fonder Kaïros, une écurie de course au large experte dans le domaine des matériaux composites. Et c’est en combinant génie des matériaux et convictions environnementales que cette prise de conscience s’est changée en prise de responsabilités. En 2009, au sein de Kairos naît un bureau d’étude dédié aux matériaux biocomposites, sorte de néo-plastique sur base de fibre végétale recyclable et biodégradable, sans faire de compromis sur la performance. 

Rapidement, l’initiative attise la curiosité d’explorateurs soucieux d'œuvrer pour l’environnement. Nombre d’entre eux se rapprochent de Kaïros pour demander des conseils techniques ou simplement un appui logistique dans leurs projets. Roland Jourdain raconte: “Parmi ces sollicitations, nous avons rencontré des porteurs de projets intéressants et engagés, la perspective de les aider était très alléchante. On a une expertise, des locaux souvent vides quand nos navires sont au large, un accompagnement était possible, il fallait simplement réfléchir à un modèle adéquat”.

Le modèle parfait, c’est celui du fonds de dotation, un organisme de mécénat qui se distingue d’une fondation classique par ce qu’elle offre à ses bénéficiaires. Ici, l’accompagnement n’est pas purement financier, il est plutôt conseiller, technique, et administratif pour faire en sorte que les explorateurs mettent enfin les voiles. C’est avec cette philosophie que naît le Fonds Explore, en 2013.

Dans les faits, le fonds Explore fonctionne comme un incubateur où chacun est libre d’exprimer sa créativité et sa vision. Chaque expédition rejoignant l’aventure dispose d’un bureau, d’un atelier, d’un accès au ponton et reçoit également un accompagnement juridique, pour que la passion du grand large ne rentre pas en conflit avec l’administration française. Explore ne finance pas directement les expéditions, mais dispose d’une communauté de mécènes, dont une trentaine de grandes entreprises, qui en finançant les activités du fonds, viennent s'inspirer de ces aventuriers des temps modernes. 

Parmi les premiers explorateurs à avoir rejoint Explore, on trouve notamment les équipes d’Under The Pole, qui plongent sous la banquise pour faire avancer nos connaissances en biologie marine, ou le projet Low Tech Lab, porté par Corentin de Chatelperron, un périple à la recherche de solutions ingénieuses à bord du Nomade des Mers, un catamaran low-tech. Si ces deux initiatives ont été lancées par des connaissances professionnelles rencontrées avant le lancement du fonds, d'autres ont rapidement rejoint la famille. 

Comment ont-ils fait ? En venant avec leur projet sous le bras, une passion, et l’envie de discuter. “Si quelqu’un arrive avec une initiative, on va en discuter, l’étudier, et passer en revue un certain nombre de critères. C’est un échange, il faut que le projet soit en accord avec nos valeurs : partage, innovation et sensibilisation.” Le partage est LA condition pour rejoindre l’équipage. Si le fonds est toujours partant pour accueillir de nouvelles initiatives, Roland Jourdain affirme qu'ils sont  “loin de faire la course aux chiffres, d’ailleurs nous ne pourrions pas accueillir des dizaines d’initiatives pour de simples raisons d’espace”. 

Aujourd’hui, cinq projets sont accompagnés au quotidien par le fonds explore, un chiffre relativement contenu, mais qui a son importance. Roland Jourdain nous explique : “Les initiatives ne sont pas des équipes étanches, et des synergies naissent entre les différents projets, à la base, on leur transmet un savoir, elles nous apportent aussi beaucoup, et celà crée un vrai échange entre explorateurs”. Cet aspect transmission, d’Explore aux bénéficiaires, puis de projets à projets, a posé les bases pour faire de la transmission et par extension, de l’éducation, l’un des piliers du fonds. 

Les classes de primaires ont été les premières à s’inviter dans la base. En effet, pour faire rêver les plus jeunes, il n’y a rien de mieux que de leur faire vivre, au moins pour une journée, le quotidien d’un aventurier. Pour Roland Jourdain et toute l’équipe du fonds Explore  “C’était important de travailler avec l’éducation nationale, car nous nous sommes rendu compte que cette dernière avait un vrai retard sur les questions de sensibilisation environnementale”.

Ces journées portes ouvertes sont un succès, élèves, professeurs et intervenants sont ravis d’échanger autour de cette machine à rêves qu’est le monde de l’exploration. Mais en 2020, la crise sanitaire est venue semer le trouble dans cette grand-messe de sensibilisation. Alors comment faire pour poursuivre cette transmission en temps de crise ? Dans la vie, comme en mer, il faut constamment s’adapter aux aléas. Alors rapidement, le volet éducatif du fonds Explore s’est adapté à la sauce Covid, et des formations à distance ont pu voir le jour. Leur apparition a même révélé une évidence : la formule peut facilement s’étendre aux autres niveaux, pour que les collégiens, lycéens et étudiants profitent aussi de cette expérience. 

Comme toutes les périodes sombres, la tempête du covid a fini par passer, et le pôle pédagogie d’Explore est ressorti plus fort de cette épreuve. Des postes dédiés ont été ouverts, et il se divise désormais en deux parties : Le pôle éducation, qui travaille en étroite relation avec les professeurs pour amener les questions environnementales dans le quotidien des plus jeunes. Et le “Campus Explore”, un programme visant à mettre les étudiants au centre des activités du fonds. Au programme : Conférences, débats, et même cas pratiques intégrés aux programmes universitaires. 

Au total, une quinzaine d'établissements de l’enseignement supérieur suivent un partenariat de longue durée avec le fonds. L'un des plus parlants est certainement celui avec l’école Centrale de Nantes. Pendant un semestre, les futurs ingénieurs travaillent sur l’aménagement de solutions low-tech à l’intérieur d’un catamaran de course au large, avec en ligne de mire, un objectif que Roland Jourdain connaît bien : la Route du Rhum. Bâtis sur des valeurs de créativité, de partage, et d’ouverture sur l’avenir, le fonds Explore fait rêver des milliers de curieux. Et prouve à ceux qui continuent d’en douter, qu’avec de l’entraide, une vie d’aventure est loin d’être inenvisageable.