Faire bouger au sens propre et au figuré

Chaque année, des milliers d'entreprises embarquent leurs équipes dans des voyages d'affaires exotiques, séminaires lointains, "offsites" et autres "business trips", qui contribuent de façon significative à leur empreinte carbone. Selon la Convention des entreprises pour le Climat (CEC), les déplacements professionnels peuvent représenter jusqu'à 90% des émissions de CO2 d'une entreprise de service.

Avant un déplacement professionnel, 79% des salariés se demandent “si un voyage vaut le coup ou pas”. Prenons l'exemple des learning expeditions, souvent assimilées à des safaris technologiques, ces pèlerinages à destination des Mecques de l'innovation comme San Francisco, Shanghai ou Bangalore révèlent parfois une réalité moins glamour : une visite de la cafétéria high-tech de Google à Mountain View ou une photo Instagram sur le rooftop de Facebook à Menlo Park ne font pas nécessairement une expérience d'apprentissage fructueuse ou enrichissante.

Organiser un séminaire à Tel Aviv ou Shenzen ne résout pas non plus tous les problèmes relationnels ou stratégiques d’une entreprise. Pour le sociologue Christophe Dejours, ces événements ressemblent à des "jeux d'enfants", marqués par une certaine immaturité. Ils sont, à ses yeux, des outils de régression qui entravent l'émergence d'une discussion sérieuse et mature au sein des équipes. Les journées passées à résoudre des casse-têtes, à assister à des présentations powerpoints ou à participer à des jeux de rôle ne semblent pas plus améliorer la capacité à travailler efficacement en équipe.

Au contraire, ces activités accentuent la pression du groupe sur chacun. Finalement, là où le déplacement devait créer de la confiance et de la cohésion, il crée souvent de la défiance et de la peur. Parlez-en à ce cadre d’Airbus qui a voulu forcer ses salariés à marcher pieds nus sur du verre pilé lors d’un séminaire…

Une autre forme de tourisme d'affaires est non seulement possible mais aussi plus frugale et plus apprenante. Depuis 2016, par exemple, le studio in:Expeditions s’est spécialisé dans l’organisation de learning expeditions bas carbone. Grâce à une cartographie de plus de 2500 projets à impact positif reliant vingt-cinq villes d’Europe, des formats d’exploration sont organisés en train. L’objectif est double : permettre aux décideurs de garder un temps d’avance sur leur secteur tout en polluant le moins possible lors de leur trajet.

Et ces expéditions bas carbone ne manquent pas de potentiel d'apprentissages : l'Europe regorge de hubs d’inspirations et d’innovations à impact positif que les entrepreneurs du monde entier se remettent à envier. Niklas Zennström et Tom Wehmeier, dirigeants d’Atomico rappelaient encore dans une tribune du Monde datée du 13 juin dernier la phrase suivante : “l’Europe a le potentiel de créer plus de valeur dans le domaine de la tech que toute autre région du monde.” Avec 300 entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars fondées en Europe, il y a donc de quoi voir et de quoi faire. “Particulièrement dans le domaine de l’innovation sociale et du développement durable où les Européens excellent. ”Regardez par exemples Amsterdam, ville pionnière de l’économie circulaire et de la Doughnut economy, Copenhague, championne des transitions, Londres ou Berlin, aux avant-gardes de la scène climate tech, la région Bretagne, laboratoire reconnu des low tech, ou encore Bâle et Barcelone, capitales internationales de l’économie régénérative.

Et si l’innovation ne s'arrête pas aux frontières de l’Europe, les visio-expéditions permettent, grâce à un réseau de correspondants internationaux, de produire des duplex immersifs et interactifs diffusés en direct de lieux lointains. Cette démarche, également développée par les journalistes de in:Expeditions, met à profit les outils numériques tels que zoom ou teams pour connecter les entreprises et renouveler leur rapport au monde entier, sans quitter leur bureau.

Nous le savons, voyager à l’autre bout du monde ne rend pas plus ouvert, ni intéressant.

En revanche, si nous réussissons à faire émerger un bon usage des technologies, le recours à des modes de transport doux et de nouvelles représentations médiatiques du voyage, nous pouvons transformer le tourisme d'affaires en une expérience d’apprentissage véritablement transformatrice, centrée non pas sur la destination mais sur l’apprenant et le voyage en lui-même.