Désapprendre dans un monde en crises

Désapprendre dans un monde en crises

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François Taddei
Merci à
par Apolline Tarbé / merci Frédérique Chlous
Écrit par
par Apolline Tarbé / merci Frédérique Chlous

On se souvient d’un premier manifeste qui tombe en 2018. On est alors en septembre, c’est pile la rentrée des classes et plusieurs étudiants s’insurgent de la passivité des institutions face à la question climatique. On parle déjà de réveiller l’enseignement supérieur et d’une nécessaire mobilisation. Sauf que voilà, ce ne sont que des étudiants en besace et jeans qui lèvent le poing et crient à l’imposture. L’appel est entendu, 30 000 signatures, des plateaux, des médias qui passent le micro et l’affaire qui fait grand bruit se tasse comme toutes les autres. Et puis, deux ans plus tard, après la déflagration sanitaire née à Wuhan, d’autres profils, jusqu’ici silencieux, s'indignent.

À commencer par Lou Welgryn, 26 ans et cofondatrice du mouvement ESSEC transition alumni, dubitative face au contexte de crise. “ Je me suis rendue compte que nous n’étions pas du tout préparés à affronter le monde dans lequel on vit. Malgré la renommée de notre école, nous manquons cruellement d’éclairages pour affronter les enjeux déjà présents.” Ce constat, elle le partage avec d’autres anciens… mais pas forcément des mêmes écoles. Pour Marie-Céline Piednoir, 28 ans et diplômée de l’EDHEC Business School, le constat est similaire. “Je ne me rappelle pas avoir abordé la question de l’environnement et du réchauffement climatique en cours. Aucun des syllabus ne nous alertait sur les défis déjà présents ou sur les défis que notre société de consommation allait continuer à créer. On nous formait même à des métiers ou des secteurs qui justement nourrissent cette société de consommation."  Pour Pierre Peyretou, 33 ans, diplômé de l’ESCP Europe, la question est bien plus vaste, bien plus complexe. “On ne nous a ni formé aux fondamentaux physiques et biologiques, ni appris à réfléchir de manière systémique. Il a fallu se former en autodidacte et sur le terrain. Or, la problématique que nous rencontrons aujourd’hui, c’est le manque crucial de temps et l’absence de modes d’emploi. L'enseignement supérieur doit jouer ce rôle”


ENTRER EN RÉSONANCE ET SE METTRE AUTOUR D’UNE TABLE (POUR L’INSTANT) VIRTUELLE

Alors à la question, “comment tout commence”, Antoine Vergnaud, 28 ans, cofondateur du mouvement alumni EDHEC en transition, nous répond “les choses se sont un peu faites par hasard. En 2019, l’EDHEC a accepté d’organiser des fresques du climat. En tant que formateur, je me suis demandé comment on pouvait aller plus loin et j’ai laissé un message sur le mur de ma promo. En quelques heures, j’ai eu des réponses, notamment celles de Julien et Thomas qui travaillaient d’ores et déjà sur des sujets similaires. Le train était déjà en marche.” Pour Thomas Goellner, qui justement a rejoint le mouvement, le sujet tombe à point nommé. “Après mon école, j’ai fait comme beaucoup de personnes diplômées, je suis rentré dans le tourbillon de la “start-up nation”. Et puis, à un moment donné, je me suis interrogé sur notre impact environnemental et voyant qu’on était pas très bien en phase, j’ai commencé à me poser des questions, à me renseigner et c’est comme cela que j’ai mis le doigt dans un engrenage. C’est comme cela que tout est né.” Une initiative saluée par Antonin Khosrovaninejad, 23 ans, cofondateur du mouvement étudiant sur le point d’être diplômé de l’EDHEC. “En tant que futur alumni, je suis rassuré de voir que la question intéresse à la fois des anciens comme Thomas et Antoine qui ont moins de trente ans comme des figures plus expérimentées qui avoisinent les 50 ans. On se rend bien compte que nous sommes tous novices sur ces sujets et cela prouve bien qu’il y a un hic, un manque à gagner dans notre formation.”

« On ne m'a pas appris à réfléchir de manière systémique. Il a fallu se former en autodidacte et sur le terrain. », Pierre Peyretou

REPARTIR DU B.A.-BA ET RÉINJECTER DU SYSTÉMIQUE DANS LES PROGRAMMES

Prendre en compte la question environnementale et la poser sur la table, c’est une chose. Réussir à former des étudiants sur les enjeux systémiques en est une autre. “Je pense que lorsque je suis sorti de l’école, je n’appréhendais même pas l’idée de système, ce qui est totalement problématique. C’est un peu comme si ma grille de lecture du monde était limitée aux seuls sujets qu’on nous enseigne et donc je n’avais pas le bon logiciel pour me permettre d’identifier les problèmes de société” raconte Thomas Goellner. Marie-Céline Piednoir regrette quant à elle l’importance des dogmes et le manque d’esprit critique. “J’ai le souvenir de cours intéressants. La seule chose c’est que peu d’entre eux remettent les théories en perspective. Il y a un manque de contextualisation qui nous empêche de relever la pertinence des théories et leur applicabilité dans le monde d’aujourd’hui.”

Pour Lou Welgryn, la problématique de départ réside dans le manque d’interdisciplinarité et l’oubli des sciences. “S’il fallait reprendre du début, je crois qu’il serait bon de réapprendre les bases. À commencer par la physique. Ce n’est pas normal qu’un étudiant sorti d’école, ne soit pas sensibilisé au moins pendant 1H au cycle de vie d’un produit.” Un constat partagé par Antoine Vergnaud qui s’insurge devant les lacunes des élèves. “Il ne s’agit pas de demander à une école de commerce de devenir une école d’ingénieur mais simplement d’introduire l’idée de cause à effet. Nous sommes dans un système fermé et donc interdépendant et ça, honnêtement, ils sont peu à nous le dire.” Au tour de Lou d’ajouter : “d’années en années les modèles économiques étudiés n’évoluent pas ou très peu. Vu l’urgence de réinventer un modèle de société durable, il est peut-être temps d’enseigner d’autres courants de pensées économiques et d’arrêter de faire une fixette sur le libre-échange.”

« Les étudiants manquent cruellement d’éclairages pour affronter les enjeux déjà présents. » Lou Welgryn

SE CONFRONTER AUX ANTAGONISMES DE L’ÉCONOMIE RÉELLE

Repartir du b.a.-ba revient donc à interroger la méthode, à se pencher sur le contenu des cours et sur la portée des programmes pédagogiques. “Il y a d’ores et déjà eu des tentatives. Mais force est de constater que ça ne suffit pas. Je pense qu’il y a beaucoup de professeurs qui voudraient faire mais qui se retrouvent aussi dans l’incompréhension face au “quoi faire?” explique Antoine Vergnaud. Et c’est bien toute la problématique sur laquelle s’est posée Pierre Peyretou avec Aurélien Acquier, professeur et doyen associé pour le développement durable à l’ESCP Business School : “Aujourd’hui, les étudiants comme les professeurs font face à de nombreux antagonismes quand il s'agit d'aborder les questions de business et de climat. Ils ont en tête une logique d’augmentation des volumes de production qui ne coïncide pas avec les impératifs de réduction de l’empreinte carbone. Pour mettre le tout en perspective, nous voulions proposer une maquette pédagogique qui mixe plusieurs disciplines, interroge les étudiants, suscite leur curiosité. On a construit un cours sur 30H intitulé “Energy : Business, Climate & Geopolitics” et nous sommes ravis que les étudiants aient répondu présents”

Pour Thomas Goellner, ce sont aussi les interventions extérieures comme celle de l’enseignant alumni qui feront la différence durant les études. “On ne pourra jamais se passer de l’apprentissage des ordres de grandeur. On ne pourra jamais se passer d’experts qui se sont confrontés au terrain et qui ont compris la logique multi-acteurs. Il faut donc qu’on ait des spécialistes qui interviennent pour compléter les cours des enseignants. En business school, former à l’impact positif doit passer par l’interrogation de nouveaux concepts où la finalité n’est pas toujours le marché et l’argent.”

« Les étudiants manquent cruellement d’éclairages pour affronter les enjeux déjà présents. » Lou Welgryn

REVOIR LES CRITÈRES DE CLASSEMENT À L’AUNE DE L’INDICATEUR ENVIRONNEMENTAL

Partout, les groupes de réflexions d’anciens élèves sont actifs et depuis plusieurs mois les relations avec l’école sont déjà entamées. “La direction de l’école a accueilli bien volontiers nos propositions. Je pense qu’ils savent qu’en tant qu’alumni, nous pouvons contribuer et aider l’école à se transformer. Il s’agit désormais d’entamer des revirements stratégiques et on est heureux d’être très régulièrement consultés ” déclare Lou Welgryn, cofondatrice d’ESSEC Transition alumni. Slack en ligne, zoom thématiques et même un forum des métiers de la transition avec 1500 inscriptions en décembre 2020, le sujet intéresse les étudiants comme les professionnels déjà en fonction. “Je savais que ma génération et mes amis de promo commençaient de plus en plus à se soucier des enjeux écologiques et je suis ravie de voir que certains ont pris le temps de créer ce mouvement. J'ai hâte de voir comment les choses vont évoluer!” affirme Marie-Céline Piednoir.  Devenir un acteur de poids au sein des écoles, prendre part à la redéfinition du projet pédagogique pour contribuer à la construction des cursus est le vœu commun de tous ces alumnis. “ Nous sommes encore en phase de structuration de notre côté mais l’énergie du réseau fait beaucoup de bien” souligne Thomas Goellner, qui voit cette fédération d’acteurs comme le moyen de décupler leur capacité d'influence et donc leur impact.

Pour Lou Welgryn, Apolline Boulaire, Clément Pairot, Charlotte Martinez,  Ines Pitavy, tous cofondateurs, plusieurs chantiers stratégiques sont déjà en réflexion accélérée. “Nous sommes tous persuadés que les performances économiques des entreprises doivent être conditionnées aux performances écologiques et sociales”. Or, aujourd’hui, aucun classement ne prend en compte la notation environnementale pour hiérarchiser les écoles alors que c’est indispensable. La mobilité étudiante liées aux échanges et stages à l’étranger est par exemple une des plus grande source d’émission des écoles de commerce. Une des missions à laquelle nous essayons de réfléchir avec l’école est de proposer des échanges et des voyages qui font tout autant rêver tout en promouvant une mobilité bas carbone. Nous devons réapprendre à voyager autrement mais c’est aussi une chance unique de redéfinir l’expérience du voyage, et de manière plus globale notre rapport au temps, à la vie en général.” déclare Lou Welgryn. “Dans un monde limité, nous devons nous limiter. C’est dur à entendre, mais il est grand temps de l’écouter.”

« Les étudiants manquent cruellement d’éclairages pour affronter les enjeux déjà présents. » Lou Welgryn

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